Récit de Bory de Saint-Vincent en 1801 sur la culture du café de Bourbon

Récit de Bory de Saint-Vincent en 1801 sur la culture du café de Bourbon

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Le café est le grand revenu de Mascareigne. Il paraît que l'arbuste qui le produit a été originairement apporté d'Arabie : selon une tradition du pays, on jugea qu'il réussirait à merveille dans une île où les bois offraient plusieurs espèces sauvages; et l'on jugea bien.

Le cafeyer a été si souvent décrit et gravé; on l'a vu tant de fois dans nos moindres serres d'Europe, que nous ne perdrons pas de temps à le décrire; nous ne dirons à son sujet que ce qui lie à l'histoire de l'île, sur laquelle nous avons entrepris de donner le plus de notions possibles.

Le cafeyer vint très bien aux lieux montueux et coupés, sur les pentes souvent assez rapides, dans les terres légères et pierreuses, un peu ombragées, et même à une certaine élévation au-dessus du niveau de la mer; il se naturalise dans l'île. J'en ai rencontré dans les bois, de magnifiques pieds, chargés de fleurs ou de fruits, et provenus de graines transportées sans doute par les oiseaux.

La culture du café employe bien moins de bras, et nécessite bien moins de dépenses que les sucreries : il suffit de former les caféteries, de faire les cueillettes, de sécher la récolte et de la piler. Il paraît néanmoins que la manière de faire les dernières opérations, influe beaucoup sur la qualité du café récolté.

On plante les petits cafeyers, venus de graines, en quinconce, et à une distance suffisante, afin que leurs rameaux ne s'entremêlent pas trop. Pour les abriter dans leur jeunesse, on plante avec eux, ce que l'on nomme ambreuvales ou ambreuvades, et qu'à Saint-Domingue, on nommait pois guinée. L'ambreuvale est un arbuste à rameaux grêles et à fleurs légumineuses, dont on mange la gousse, comme des haricots verts; aux grappes des fleurs près, elle a quelques rapports pour la figure, avec le faux ébénier qui est du même genre.

L'ambrevade n'est utile qu'un certain temps. Les cafeyers l'égalent bientôt en hauteur; et comme on a remarqué que l'ardeur du soleil grillait les jeunes graines, ou que les vents violents enlevaient la poussière fécondante des étamines, et même toutes les fleurs, on a imaginé d'abriter les caféteries par des arbres plus élevés que des cytises; après plusieurs essais, on s'est arrêté au bois noir, dont nous avons déjà parlé, et dont la cime donne un ombrage léger, qui ne dérobe pas assez de lumière aux cafeyers, pour les empêcher de produire, mais qui suffit pour les garantir des ardeurs immodérées du soleil, et du souffle impétueux des vents.

Plusieurs personnes blâment l'usage d'abriter les cafeteries par le bois noir; elles allèguent que l'ombre nuit à la saveur de la graine, qui abonde bien plus en principes essentiels, quand les rayons du soleil éclairent directement les noces des fleurs et la maturité des fruits. Elles ajoutent que la mineuse se dépouille de ses feuilles tous les ans, et qu'elle en est dépourvue précisément dans l'instant où les pluies très abondantes, et les vents plus forts, peuvent nuire aux cafeyers; que le bois noir est le repaire d'une grande quantité de coccus, de cynips, qui y attirent une foule de fourmis et d'autres insectes; qu'aux moindres agitations des rameaux, ces insectes pleuvent sur les plants, et rongent la pulpe du fruit, qui se gâte après; enfin, que, comme il faut élaguer les bois noirs sujets à devenir trop touffus, il arrive dans ce travail, malgré les plus grandes précautions, que des branches coupées tombent, et cassent les cafeyers dans leur chute.

Je ne sais si ces objections sont aussi fondées qu'elles semblent l'être, car outre que l'usage prévaut toujours, d'habilles agriculteurs des deux colonies paraissent ne pas s'y être rendus.

Quoi qu'il en soit, M. Hubert m'a communiqué ses vues bien ingénieuses pour trancher le différent; il pense qu'on pourrait substituer l'arbre à pain au bois noir. Nous avons décrit l'arbre à pain; on pourrait lui adjoindre, pour l'abritage des caféteries, le rima dont la châtaigne a son utilité. On sait que ces arbres peu branchus ne portent pas assez de feuilles pour rendre les caféteries obscures; et cependant ces feuilles sont assez larges pour garantir les plants d'un soleil trop ardent.

Le rima et l'arbre à pain ne sont pas encore assez multipliés pour qu'on puisse essayer de les substituer au bois noir; mais, selon le même Hubert, cette substitution, quand elle pourra avoir lieu, offrira un autre avantage; c'est que le poivre rampe et réussit à merveille sur leur tronc, de sorte que sur le même terrain, sans qu'une culture gêne l'autre et lui prenne un pouce de place, on aura du fruit à pain, des châtaignes de rima, du poivre et du café.

Les cafeyers dans la partie de l'île où nous nous trouvions, étaient tous en fleurs, et cette floraison qui était la grande, dura environ quinze jours. Sous le vent, nous verrons qu'elle était bien plus tardive. On récolte les fruits à mesure qu'ils mûrissent, ce qui se fait en cinq cueillettes; on les sèche ensuite au soleil, jusqu'à ce qu'ils paraissent avoir perdu toute humidité. C'est alors qu'on les pile, en cassant avec de gros pilons dans des mortiers de bois, les coques d'un certain nombre de fruits secs à la fois; ils rendent ainsi leur graine telle que nous la voyons dans le commerce. On remplit, de ce café dépouillé de la coque, des sacs de vacois qui ne contiennent cent livres de poids, et qu'on nomme balles. On dépose ces balles dans des magasins publics, des gardiens en donnent un reçu qu'on nomme bon de dépôt, on trafique de ces bons, et l'on paie avec eux comme avec du numéraire; aussi à Bourbon conclut-on tous les marchés par bons et par balles. Certains propriétaires très riches n'ont pas souvent une piastre sous la main, et offrent du café pour tout ce qu'ils achètent.

Le café de bourbon, qui autrefois, avec celui de Cayenne, était de la première qualité après le moka, est aujourd'hui bien inférieur à celui des Antilles, même à celui de Saint-Domingue, qui est généralement peu estimé. Selon M. Hubert, habile agriculteur, qui m'a donné tant de renseignements importants sur l'île de La Réunion où il habite, pendant la dernière guerre, la préparation du café et son commerce se sont faits révolutionnairement ( si l'on peut s'exprimer ainsi ). On portait à Bourbon, par la voie des neutres, d'assez mauvaises marchandises que l'on ne livrait qu'à des prix fous; de sorte que les balles de café ne représentant guères aux colons que trois ou quatre piastres, ces derniers ne se donnaient pas beaucoup de peine pour bien préparer une denrée qu'ils vendaient à si vil prix, et que l'on recevait sans choix. D'ailleurs, toujours dans des inquiétudes funestes sur le sort de leurs propriétés, les agriculteurs négligeaient tout; ils croyaient leur ruine prochaine.

Ce qui a le plus contribué à la perte de la réputation du café de Bourbon, c'est que les commerçants les recevaient sans aucune distinction de prix, sur tout lorsque calculant mieux que l'habitant, ils les payaient en papier qui perdait tous les jours; on ne voulait que des balles, et les neutres les prenaient sans plus de façon, parce qu'ils gagnaient assez. Il en est résulté que le planteur, qui employait beaucoup de temps, de soins infinis, et de grands séchoirs ou terrasses pour mieux préparer son café, sans le mieux vendre que son voisin qui en fournissait de détestable, ni sec, ni trié, s'est dégoûté et a fait comme les autres; si par hasard des cafés supérieurs étaient déposés dans les magasins publics, ils étaient confondus avec les mauvais, et on ne trafiquait que des bons de dépôt, sans avoir égard aux denrées déposées.

Enfin quelques négociants ayant fait des avances à des planteurs, en exigeaient des obligations payables en café au mois de juin, temps où l'on récolte encore, lorsque de tout temps ce genre de fournitures se faisait au plutôt en octobre. Dans ce cas on a fourni des cafés verts, dont la coque était sèche, et qui blanchissaient quand on les avait pilés.

Quelques mesures rendraient bientôt au café de Bourbon son ancien rang dans le commerce : il faudrait d'abord que les négociants, en achetant les cafés, payassent plus cher le plus beau, le bien sec et le bien trié, en exigeant en outre des sacs plus serrés. Il faudrait encore que dans les magasins de dépôt chaque habitant eût sa marque, et que lorsqu'il trafiquerait de son bon, que ce fût le café déposé qui fît livré.



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