Dossier d’instructions remis au Commissaire général de la République Sarda Garriga avant son départ vers La Réunion signé par le Ministre de la Marine et des Colonies, François Arago, le 7 mai 1848.

Dossier d’instructions remis au Commissaire général de la République Sarda Garriga avant son départ vers La Réunion signé par le Ministre de la Marine et des Colonies, François Arago, le 7 mai 1848.


Direction des Colonies
Paris, le 7 mai 1848
Bureau du Régime politique
Le Ministre

Abolition de l’esclavage. Instruction pour l’exécution du décret du 27 avril 1848.

Citoyen Commissaire Général.

Le Gouvernement provisoire a décrété l’abolition immédiate de l’esclavage dans les colonies françaises, et vous avez été désigné pour accomplir à l'île de La Réunion au nom de la République, ce grand acte de réparation. Nulle mission ne saurait être plus belle et plus élevée. Vous en voyez la grandeur, et j’ai la ferme confiance que par votre expérience et votre caractère, comme par dévouement aux intérêts de l’humanité, vous saurez vous montrer au niveau d’une telle tâche. Réaliser cette œuvre avec succès, inaugurer pacifiquement la fraternité et le travail libre parmi les populations française d’outre-mer, ce sera rendre à la nation un des plus beaux services qu‘elle puisse demander aux dépositaires de son pouvoir. L’émancipation des esclaves est prononcée par un décret du 27 avril dont je vous remet ampliation, dès qu’il vous sera parvenu, vous aurez à pourvoir à sa promulgation.

Aux termes de l’article 1er, deux mois s’écouleront entre cette promulgation et la libération générale des esclaves. La République, qui appelle avec confiance à une liberté complète des frères si longtemps exclus de la famille nationale, est convaincue qu’ils accepteront pendant quelques semaines encore après la reconnaissance de leurs droits, le régime auquel elle les arrache pour toujours. Ce délai, vous le leur direz, n’a pas d’autre but que de laisser aux Commissaires de la République l’espace de temps indispensable pour préparer toutes les mesures d’exécution. Dans l’intérêt même de leur avenir, que l’autorité est chargée de régler, ils comprendrons qu’ils ne doivent pas devancer l’heure fixée pour leur délivrance ; ils resteront, pendant cette courte période d’attente, calmes, confiants et dévoués au gouvernement de la République.

Jusqu’au jour de l’affranchissement définitif vous tiendrez d’ailleurs fermement la main, par toutes les voies de droit, à l’accomplissement de la prohibition portée contre l’emploi des châtiments corporels à l’égard des esclaves, et contre toute aliénation de leurs personnes.

L’article 8 du décret vous donne pour mission expresse de prendre toutes les mesures propres à assurer la liberté à l'île de La Réunion. A partir du jour de la libération générale, les esclaves deviendront des citoyens français. Les décrets organiques dont celui de l’abolition est accompagné ne pouvaient donc faire en ne feront effectivement aucune distinction entre les classes, aucune exception au principe de la liberté et de l’égalité sociale. Mais ce principe admet comme applicables à la généralité des citoyens, certaines garanties de police et de sûreté, certaines obligations qui forment la base de toute société régulière. C’est dans cet esprit de protection générale que sont conçus les décrets dont je vous remets également des ampliations, et que vous aurez à promulguer aussi, dès que vous recevrez la présente dépêche. Ils statueront :

1/ sur l’entretien des orphelins, des infirmes et des vieillards ;
2/ sur l’instruction publique aux colonies ;
3/ sur le mode de règlement des contestations et la répression des délits relatifs au travail ;
4/ sur la création d’atelier nationaux pour les ouvriers et cultivateurs sans ouvrage ;
5/ sur la création d’ateliers de discipline pour la répression du vagabondage et de la mendicité ;
6/ sur l’établissement des caisses d‘épargne aux colonies ;
7/ Sur la création de divers impôts spécialement applicables aux colonies ;
8/ enfin sur la célébration annuelle d’une fête du travail.

La plupart de ces actes comportent, quand à leurs moyens d’exécution, des instructions que je vous donnerai par des dépêches spéciales ; je devais seulement en faire ici mention pour vous signaler comme formant le développement de la pensée d’organisation renfermée dans l’article 3 du décret d’émancipation.

Pour l’application de l’amnistie accordée par l’article 4 aux anciens esclaves condamnés à des peines correctionnelles ou criminelles à raison de faits qui, de la part d’hommes libres, n’auraient point entraîné ces pénalités, vous aurez à faire effectuer d’avance, par les soins du Procureur général, des recherches sur les registres des greffes, afin que, le jour de la liberté générale, le bénéfice de cette mesure soit acquis à tous ceux qu’elle doit couvrir. La Rentrée des noirs déportés par mesure administrative doit être également préparée par vos soins pendant l’intervalle qui s’écoulera entre la promulgation du décret et l’abolition effective de l’esclavage, et vous prendrez toutes les dispositions nécessaires pour que les intéressés soient avertis, dans les îles étrangères, de l’accueil qui les attend à leur retour sur la terre française. Vous donnerez d’ailleurs des ordres pour que ceux de ces noirs qui sont dans d’autres possessions françaises telles que Sainte-Marie de Madagascar ou Mayotte, soient rappelés à l’île de La Réunion. Quand aux anciens esclaves de la colonie que l’horreur de la servitude a portés à s’enfuir et à chercher refuge dans les îles anglaises, ils devront être instruits aussi par vos soins que leur retour sera vu avec faveur et qu’ils trouveront, de la part des autorités locales, bienveillance et protection. Vous devez également engager les marrons à descendre de leurs mornes. Ils deviendraient coupables s’ils persistaient à occuper des terres qui ne leur appartiennent pas et à s’isoler d’une société qui ne voit plus dans tous ses membres que des frères égaux.

Les termes dans lesquels la question de l’indemnité est réservée à la décision de l’Assemblée Nationale seront, aux yeux des propriétaires, la preuve de l’extrême scrupule qu’à mis le Gouvernement provisoire à ne rien préjuger contre un dédommagement qu’ils revendiquent comme un droit.

Mais plus la réserve est formelle, plus il importe d’en renfermer les conséquences dans les seules limites qui soient admissibles, dans les seules du moins que le Gouvernement provisoire regarde comme acceptables, c’est-à-dire dans les bornes d’une possession réellement autorisée par les lois. Telle n’est pas cette possession qui porte notoirement sur des esclaves introduits aux colonies postérieurement à l’abolition de la traite ; celle-là ne saurait, à aucun titre, être la base d’une proposition d’indemnité, et il importe essentiellement que le règlement pécuniaire sur lequel il sera statué par l’assemblée Nationale soit dégagé de cet élément frauduleux, qui tient, dit-on, au milieu des ateliers, une place considérable. Dans ce but, les deux mois d’intervalle qui sépareront la promulgation du décret de sa mise à exécution devront être employés par les juges de paix et les officiers du Ministère public à vérifier par enquête l’origine de tous les esclaves, afin d’arriver à noter, autant que possible, sur les registres matricules, ceux dont l’introduction aurait eu lieu depuis 1817, en violation des lois prohibitives de la traite des noirs, ou qui seraient issus de parents introduits de cette manière. La défalcation des noirs de cette catégorie comme de ceux qui, par un long marronnage, auraient déjà conquis eux-mêmes leur indépendance, serait faite du total des esclaves dont la possession par chaque maître, au moment de l’émancipation, sera constatée pour former titre à son profit dans le partage de l’indemnité annoncée.

Du reste, il sera indispensable de faire procéder par les officiers de l’état civil à un enregistrement général de la population émancipée, en prenant pour point de départ les registres matricules actuellement existants, et en conférant des noms aux individus ou aux familles comme on l’a fait jusqu’à ce jour dans le système de l’affranchissement partiel, conformément à une ordonnance de 29 avril 1836. cette opération, que prévoit d’ailleurs formellement l’article 4 du décret sur les élections, devra également avoir lieu dans les deux mois qui s’écouleront avant l’émancipation générale, et, pour la faciliter, vous adjoindrez temporairement aux maires les écrivains dont les officiers de l’état civil auront besoin.

L’article 5 ne consacre la représentation des colonies dans l’assemblée Nationale que pour la rattacher à l’abolition de l’esclavage, et montrer qu’elle avaient besoin d’être purifiées de ce régime avant d’être admises à envoyer des mandataires dans nos assemblées législatives. Un décret spécial vous indique l’époque et le mode des élections de la colonie.

L’article 7 étend aux colonies et possessions de la République le principe que le sol de la France affranchit l’esclave qui le touche. Vous tiendrez la main à l’application de ce principe en faveur de tous les noirs des îles étrangères qui aborderont la colonie, y compris bien entendu ceux qui se trouveraient à bord des caboteurs comme gens d’équipage, et pour prévenir à cet égard tout malentendu, vous ferez aux gouverneurs et commandants des îles environnantes où l’esclavage existe encore, la notification du régime de liberté sous lequel l'île de La Réunion va se trouver placée, et des conséquences qui en résulteront dans ses rapports avec la populations et les autorités des pays voisins.

La prohibition portée par l’article 8 contre la possession d’esclaves par des Français en pays étranger, devra être surtout suivie dans son application par M. le Ministres des Affaires Étrangères. Toutefois, il appartient aussi aux autorités coloniales de veiller à l’exécution de cette défense, à l’égard de ceux des habitants de nos colonies qui, après l’abolition de l’esclavage, conserveraient ou acquerraient extérieurement des intérêts de cette nature. J’ai à vous signaler spécialement comme atteinte par cette prohibition toute possession ou exploitation d’esclaves sur le territoire de Madagascar, et je vous demande de pourvoir de la manière la plus stricte à ce que ces spéculations, qu’aurait dû prévoir et interdire la législation sur la traite, soient abandonnées dans le délai prévu, sous la peine stipulée de la perte des droits de citoyen français, pour ceux qui continueraient de s’y livrer. Je borne là, citoyen Commissaire Général, mes instructions sur le décret d’émancipation. Vous en trouverez la suite et le développement dans celles qui seront jointes aux divers autres décrets énumérés plus haut. Je vous demande de suivre autant que possible le même ordre dans votre correspondance avec moi, et de la diviser selon la nature des actes de l’exécution desquels vous me rendrez compte. Je n’ai pas besoin de vous donner l’assurance de la constance attention que j’apporterai à l’examen de toutes les observations et propositions que vous me transmettrez, et de l’empressement avec lequel j’y ferai droit toutes les fois qu’elles me paraîtront pouvoir être accueillies.

Salut et fraternité.

Le Ministre de la Marine et des Colonies, François Arago.



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