Récit de Louis Maillard, concernant le cyclone de 16 janvier au 17 janvier 1858 La Réunion

Récit de Louis Maillard, concernant le cyclone de 16 janvier au 17 janvier 1858 La Réunion


Récit de Louis Maillard, concernant le cyclone de 16 janvier au 17 janvier 1858 La Réunion.

Les cyclones qui passent sur notre colonie ont souvent des résultats bien désastreux ; celui du 16 janvier au 17 janvier 1858 coûta la vie à environ cinquante personnes.

A cette époque je fus chargé d’aller faire une étude pour le détournement des eaux d’une source située dans l’intérieure de l’île, vers le centre de ma plaine des cafres. Nous nous mîmes en route le 16, à cinq heures du matin, c’est-à-dire une demi-heure avant l’apparition du jour.

Mes compagnons étaient : le maire de la commune au profit de laquelle le gouverneur avait autorisé le détournement du cours de la source ; le conducteur des ponts et chaussées, qui devait faire exécuter les travaux d’après mon tracé ; deux employés emmenés comme aides ; enfin Jacques, créole malais de quatorze ans, élevé dans ma maison, et qui me servait toujours de porte-mire. Nous étions suivis de nos domestiques portant nos effets et nos instruments. Une douzaine de terrassiers, dont trois chinois, les autres cafres et malgaches, étaient partis d’avance pour porter les outils et les provisions, et installer notre campement.

L’obscurité nous empêcha d’observer le temps au moment du départ. Nous avions devant nous huit heures de marche tant à pied qu’à cheval, et un travail pressé. Le jour venu, et à mesure que nous avancions, l’aspect du ciel nous inquiéta un peu ; des nuages noirs chassaient avec rapidité sur nos têtes, tandis que nous traversions une atmosphère brûlante où pas un souffle d’air ne se faisait sentir. A midi, l’imminence d’un ouragan devint pour moi une presque certitude ; mais nous étions trop avancés pour songer à revenir sur nos pas, et d’ailleurs nous espérions trouver de bonnes cases auprès de la source.

Le plateau appelé Plaine des Cafres est une savane parsemée de pitons à cratères éteints et d’éminences qui sont des soulèvements volcaniques plus ou moins couverts d’arbres. Les pentes générales du plateau se dirigent toutes vers le centre, vaste marécage à la saison des pluies, pâturage frais en temps de sécheresse. Sur une étendue de deux lieues de long et d’une lieue et demie de large, ce désert ne présente que des parcs pour les bœufs, avec une ou deux cabanes pour les gardiens, une case pour les tournées accidentelles du propriétaire, un bout de jardin, et quelques semis de sainfoin et de raygrass, comme réserve pour les jours caniculaires.

Tel était le gîte qui nous attendait et qui était situé sur une des buttes volcaniques dont la chaîne s’étend du sud au nord, entre deux pitons plus considérables, celui Dugain et celui de la Grande-Montée.

La première case qui s’offrit à nous avait été récemment construite en bois et en paille pour abriter nos ouvriers. Derrière celle-ci se présentait celle que le propriétaire de la métairie occupait lorsqu’il venait voir son troupeau, et qui nous était réservée. Une troisième celle des bouviers, très petite et de chétive apparence, avait été mise en partie à la disposition de nos domestiques. Enfin, la parc à bœufs, vaste hangar occupé par une cinquantaine de ces animaux, terminait le campement. Ces quatre abris étaient séparés les uns des autres par une dizaine de mètres et protégés par quelques beaux arbres.

Nous étions encore en route et à pied, lorsque la pluie commença à tomber par ondées chaudes, droites et raides, augmentant d’intensité à chaque reprise. A deux heures, elle nous cloua dans la case où nous fîmes notre installation et prîmes notre repas. Un magnifique chien des Alpes, attiré par l’odeur de la cantine, avait quitté les bœufs dont il était le gardien pour d’établir chez nous. Le repas fini, il refusa de nous quitter et donna des marques d’effroi de mauvais augure. Bien qu’il fût caressant et doux, bien que sa haute taille et son air de fierté fussent des indices de courage, il refusa d’obéir au rappel des ses maîtres et se cacha sous un de nos lits d’où il fut impossible de le faire sortir. Je remarquai qu’il ne dormait pas et qu’il éprouvait une inquiétude extraordinaire, tandis que les bœufs ne paraissaient rien pressentir ou ne se soucier de rien.

Le baromètre baissait de manière à me donner la crainte d’une nuit terrible. J’examinai la case qui était composée de deux chambres : l’une servant de magasin, l’autre fort petite, contenant quatre lits, dont deux devaient être occupés chacun par deux de nos jeunes gens. C’était une construction en bois couché, à la manière du pays, avec une couverture en planches et en bardeaux, un vrai chalet de montagnes, ayant pour unique ouverture une porte tournée vers le soleil couchant. Une roche sortait de terre à l’angle sud-ouest et à quelques décimètres de distance de la case.

La pluie cessa et aucun bruit précurseur de l’ouragan ne se fit entendre avant cinq heure du soir. Alors s’élevèrent de courtes rafales qui devinrent de plus en plus menaçantes. A la nuit tombante, six heures et demie, l’atmosphère redevint calme et chargée de brumes qui voilaient l’horizon. A huit heures, le baromètre était si bas que je m’étonnais de ne pas voir la tempête se déclarer, lorsqu’elle arriva, ronflant et mugissant entre les pitons et faisant craquer les arbres. Puis un silence, un calme plat qui dure quelques secondes, comme si l’ennemi s’arrêtait pour se remettre en haleine avant de nous attaquer. Il reprend sa course, et, cette fois, il accourt si vite qu’il ne s’annonce plus par des menaces lointaines ; il s’abat sur nous brutalement et nous porte un choc semblable à celui d’un corps solide. Le toit craque et se brise, nous nous sentons soulevés et penchés en avant. Le chien s’agite et gémit, nos lumières sont éteintes par le vent qui pénètre dans l’intérieur. Heureusement, il a emporté au loin les débris de la charpente ; personne n’est blessé. Il pleut serré, mais nous pouvons encore nous abriter sous une partie du toit.

Les intervalles de calme, de ce calme extraordinaire qui succède aux rafales, nous laissaient à chaque instant l’espoir d’avoir essuyé la dernière bordée de cette furie. Vers dix heures, nous essayâmes de sortir pour voir si les autres cases nous offriraient un refuge meilleur ou pire. Mais il nous fut impossible d’ouvrir. Le vent avait fait marcher la case de manière à ce que la porte vint butter contre la roche. Nous étions calés, mais prisonniers, avec la chance d’être renversés et brisés, ou celle d’être écrasés par les débris de la toiture.

De onze heures à minuit elle fut enlevée planche par planche, et chaque fois dispersée au loin. A minuit, la paroi située vers l’est et qui maintenant, par suite de l’évolution que nous avions subie, se présentait presque de face à la rage obstinée du nord-est, fut enfoncée et trouée. Nous étions à peu près libres de fuir ; mais l’obscurité était complète, et, à deux pas de nous, autour de la petite éminence qui nous occupions, l’inondation se dressait en vagues semblables à celles de la mer. Les autres cases étaient peut-être entraînées déjà par la bourrasque dans ce déluge, et la sensation du froid était si vive, que l’idée de nous égarer dans les ténèbres nous frappait de terreur.

Quelque précaire que fût notre refuge, nous ne pouvions plus dire notre abri, l’instinct du gîte qui domine toujours la pensée humaine, et le sentiment fraternel de la lutte en commun contre le danger commun, nous engagèrent à rester ensemble jusqu’au dernier moment. Mais le plus grand péril de notre situation ne s’était pas encore dessiné à mes yeux, et bientôt il s’annonça par de douloureux symptômes. Je veux parler du découragement, de cet état nerveux et tout physique de prostration morale qui, sous l’influence de certains agents extérieurs, s’empare quelquefois de préférence des âmes les plus énergiques. Quelques-uns de mes compagnons commencèrent à donner des signes de désespérance, adressant au ciel de délirantes prières, ou appelant leur famille et leurs amis absents pour leur dire adieu. Je craignis un instant pour moi même la contagion de ce trouble fatal, et je fis un effort pour me rappeler que j’étais là chef de la bande, et par conséquent appelé à ne m’occuper que des autres. Voyant que l’inaction était le seul fléau qu’il me fût possible de conjurer, je résolus d’essayer, à tout hasard, de lutter contre les éléments. Je fis porter et accoter nos quatre lits contre la paroi la plus menacée. Je m’opposai à ce que personne eût recours aux alcools pour se réchauffer ou s’étourdir. Je veillai à ce que chacun avalât de temps en temps un verre de bouillon concentré dont nous avions une provision convenable. Je fis jeter sur notre petit groupe serré, une grande couverture qu’il fallait retenir de toutes nos forces pour qu’elle ne nous fût pas arrachée par le vent. Enfin, je parvins à installer au milieu de nous une double caisse vide et retournée, au moyen de laquelle un bougeoir garni et des allumettes me permirent, dans l’intervalle des rafales, de nous procurer un instant de lumière pour regarder l’heure et consulter le baromètre qui, sans merci, descendait toujours.

Quelle attente ! et combien de fois, après des angoisses qui nous semblaient avoir durée une heure, nous étions frappés de stupeur en voyant à la montre qu’à peine dix minutes s’étaient écoulées ! Sans doute ces fréquentes constatations de notre péril n’étaient pas de nature à nous rassurer ; mais elles tenaient notre attention éveillée sur nous-mêmes. Elles entretenaient le sentiment et l’amour de la vie prêts à nous abandonner. Dans ces rapides intervalles de silence, nous respirions ensemble, et chaque fois nous pouvions nous croire prêts à sortir du paroxysme de l’ouragan. Mais tout à coup des craquements formidables nous annonçaient le retour du monstre. Chose remarquable, les plus faibles étaient ceux dont l’énergie se soutenait le mieux, et mon petit Jacques montra, sans se démentir un instant, une présence d’esprit, un courage et un dévouement à toute épreuve.

Enfin, à deux heures du matin, le baromètre cessa de descendre, et à deux heures et demie il commença à remonter un peu. Les rafales faiblirent progressivement et l’espérance remonta comme le baromètre.

J’étais brisé de fatigue, je m’allongeai comme je pus sur un matelas, une véritable éponge dont le poids de mon corps exprimait l’eau, et je dormis une demi-heure.

Dès que le jour commença à poindre, nous réunîmes nos efforts pour nous ouvrir un passage à travers les débris de la cloison et parvenir jusqu’aux autres cases, que nous étions pas sûrs de retrouver même en ruines. Quelle fut notre surprise, en voyant debout et intacte, la plus voisine, qui était la plus petite, celle que nos domestiques partageaient avec les bouviers ! elle était fermée, muette et comme inhabitée. Nous y pénétrons, et nous trouvons nos gens bien tranquilles autour d’un bon feu qu’ils avaient pu entretenir toute le nuit, sans se douter qu'à deux pas de là nous soutenions contre la mort une lutte désespérée.

Nous étions tellement transis, que la vue de ce feu bienfaisant faillit nous faire tout oublier. Mais il fallait songer à nos douze travailleurs installés dans la case neuve, et nous fîmes pour aller de suite à leur recherche un effort que je me rappellerai toujours comme une chose considérable dans ma vie d’aventures.

La tempête était presque apaisée, mais elle avait eu son cruel triomphe. De la grande case en bois et en paille, il ne restait que quelques débris épars, ballottés encore par les derniers souffles de l’ouragan. Sept de nos hommes s’étaient réfugiés, dans un état d’hébétement, sous les débris d’un gros arbre abattu et brisé. Les cinq autres gisaient dans l’eau, raides et froids comme des cadavres. Nous nous hâtâmes de les emporter près du feu et de les frictionner de toutes nos forces ravivées par le danger. La scène qui suivit fut véritablement effrayante. Les premiers qui se ranimèrent sortirent de leur léthargie dans un état de démence complète, et, s’échappant de nos bras, voulurent se précipiter dans le feu. Deux autres, deux malgaches, en venant à la vie, eurent un réveil encore plus terrible. Leur face souillée, égarée, furieuse, était horrible à voir, et notre lutte pour les sauver ressemblait à un combat.

Mais le dernier de ces malheureux ne se réveilla pas, et plusieurs heures de frictions ne purent pas seulement lui enlever la raideur cadavérique. L’asphyxie par l’eau ou la paralysie du sang par le froid avait été complète.

A neuf heure du matin, il fallut renoncer à l’espoir d’arracher cette victime au désastre. Nous la couvrîmes d’un peu de terre, nous abandonnâmes une partie de notre bagage, et les buttes ayant cessé d’être des îles sans issue, nous pûmes descendre dans la plaine où l’écoulement se faisait assez régulièrement par les deux ravines qui sillonnent en sens contraire le nord et le sud du plateau. Nous pûmes franchir, non sans peine, mais sans catastrophe nouvelle, les trois courants du Bras Ponteau, qui ne charriait ni arbres, ni rochers, et dont les flots étaient restés clairs, grâce à la compacité du sol. Ainsi marchant dans l’eau, jusqu’aux genoux dans la plaine, jusqu’aux épaules dans les fonds, le plus souvent sans retrouver aucune trace de chemin, rencontrant à chaque pas les énormes tamarins des hauts gisant brisés sur le sol, nous atteignîmes, après trois heures de marche bien pénible, la métairie la plus voisine. Le temps était magnifique, le ciel d’un bleu pur, et le soleil brillait sur la campagne dévastée.

Source : Notes sur l’île de La Réunion ( Bourbon ) par Louis Maillard 1862.



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