Discours d'inauguration du Chemin de Fer le 11 février 1882 par le Gouverneur de La Réunion Pierre Étienne Cuinier

Discours d'inauguration du Chemin de Fer le 11 février 1882 par le Gouverneur de La Réunion Pierre Étienne Cuinier


Discours d'inauguration du Chemin de Fer le 11 février 1882 par le Gouverneur de La Réunion Pierre Étienne Cuinier

Messieurs,
Au moment où de nouvelles et puissances ressources sont mises à la disposition de la Colonie par M. le Directeur des travaux du Port et du Chemin de Fer , M. Blondel, je ne crois pas pouvoir me dispenser d'appeler votre attention sur l'importance du progrès qui s'accomplit au milieu de nous et sur le mérite des hommes à qui nous le devons.

J'ai toujours considéré que les circonstances m'avaient particulièrement favorisé en m'appelant à prendre le gouvernement des affaires de La Réunion pendant que s'exécutent les grand travaux publics auxquels celui qui les dirige se consacre, depuis quatre ans, avec un talent et une énergie supérieurs et qui doivent avoir, selon moi, une si heureuse influence sur l'avenir de la Colonie. C'est donc avec une vive satisfaction, je dirai plus, avec une joie profonde, que j'assiste à l'inauguration de ce chemin de fer que M. Blondel nous livre aujourd'hui comme un brillant acompte sur l'œuvre totale dont le port de la Pointe des Galets sera le complément. J'espère que le succès qui a toujours répondu à ses efforts y répondra jusqu'à la fin et que nous verrons, avant longtemps, réparé par ses mains, le seul oubli dont la nature se soit rendue coupable envers cette île privilégiée, à laquelle elle a tout donné libéralement, des montagnes splendides, des terres fertiles, des eaux vives en abondance, les sites les plus grandioses et les plus gracieux, la plus riche variété de climat, tout enfin, excepté un port. Mais le chemin de fer avance et garantit le port, notre infériorité séculaire au point de vue maritime est à la vieille de disparaître. Cette idée ne double-t-elle pas la valeur déjà si grande par elle-même de l'inauguration de la voie ferré ?

Si les chemins de fer étaient moins connus, on pourrait douter du sort de celui que nous inaugurons, contester les avantages qui doivent en résulter pour le pays, expliquer les oppositions qu'il a rencontrées au début et l'incrédulité qui existe encore chez quelques-uns, relativement à la sécurité du transport. L'expérience est là, grâce au ciel, une expérience de plus de 60 ans, pour nous tirer d'incertitude à cet égard. Nous savons que, partout où ont pénétré les chemins de fer, ils ont apporté une vie nouvelle et de nouvelles facilités pour l'existence. Nous savons qu'une rapide circulation des hommes et des choses, des idées et des produits, fait autant pour l'instruction et la prospérité d'un pays qu'une bonne circulation du sang dans les veines, pour la vigueur et la santé des corps vivants. Nous savons par conséquent que les chemins de fer sont de puissants véhicules de richesse et de lumières. Tant que la civilisation n'a eu pour voie d'expansion que les routes carrossables, elle a marché avec une désespérante lenteur ; le droit, la justice, la liberté faisaient à peine un pas tous les cent ans. Voyez comme ils se précipitent aujourd'hui sur le rail brûlant, à travers les montagnes par-dessus les torrents et les précipices, avec la légèreté et la rapidité du vent, pendant que la voix éclatante de la vapeur annonce de loin aux populations encore esclaves de l'ignorance et de la misère que l'affranchissement leur arrive !

Si tels ont été en tout temps, en tous lieux, les magiques effets de la création des chemins de fer, que ne devons-nous pas attendre le nôtre, au point de vue de l'avancement du pays en bien-être et en sociabilité ? Examinons un peu. Quels étaient vos moyens de locomotion ? Comment et dans quelles conditions se rendait-on jusqu'à présent du centre de la Colonie à l'une de ses extrémités, Saint-Pierre par exemple ? On gravissait péniblement les pentes de la montagne qui sépare l'arrondissement du Vent de l'arrondissement Sous-le-Vent, ou on prenait la voie de mer, condamné pour une matinée à la gêne, aux secousses, aux mauvaises odeurs du bateau de la Possession, à moins qu'on ne préférât affronter quatre heures de fauteuil, par la route du littoral, suspendu entre ciel et terre. Et cela fait, on n'était encore qu'à la Possession, on avait devant soi une longue journée de diligence à travers le soleil et la poussière, dont chacun a fait l'expérience et que beaucoup avaient l'habitude de renvoyer au lendemain, profitant de l'hospitalité de Saint-Paul, pour couper en deux ce parcours de plus de 80 kilomètres. Que faudra-t-il de temps désormais pour le franchir ? Quatre heures, c'est à dire qu'entre le déjeuner et le dîner les habitants de Saint-Denis et de Saint-Pierre pourront aller les uns chez les autres, sans arrêt, sans fatigue, confortablement assis dans un wagon, où se retrouveront à peu près les aises et les commodités du chez soi. Qui ne voit que ce raccourcissements des distances, cette économie de peines et de soins, aura pour conséquence de rapprocher les habitants du pays entre eux et d'activer le progrès, qui se dégage du mélange des idées et des intérêts. Voilà pour les personnes.

Sous le rapport de la production agricole et industrielle, il y a toute une révolution en perspective. L'une des principales causes de la décadence de nos exploitations sucrières a été le morcellement de la fabrication. Chaque propriété a voulu avoir son usine, usine toujours coûteuse, quelquefois ambitieuse et hors de proportion avec les besoin de la culture. Lorsqu'après une brillante période de production due à l'exubérante fertilité d'un sol vierge, les propriétaires ont eu à lutter contre des circonstances défavorables, ce matériel les a écrasées. Il dépend d'elles de se relever en faisant des économies, de larges économies, sur les frais de culture et de fabrication. Je ne parlerai pas des machines agricoles, j'en ai déjà beaucoup parlé. Aussi bien le branle est donné : quelques esprits plus avisés que d'autres s'occupent déjà de remplacer les immigrants par des bœufs et la réforme ainsi commencée ira jusqu'au bout, je l'espère, malgré les dissidents. Je n'envisage ici que la fabrication. Le chemin de fer, en offrant des transports rapides et à bas prix, permettra de l'abolir sur un grand nombre de points, de la concentrer sur d'autres, et d'amener ainsi un abaissement du prix de revient des produits fabriqués en attendant que le Port, à son tour, procure un meilleur placement de ces produits. C'est un nouvel horizon qui s'ouvre devant notre principale denrée d'exportation, au moment où l'avilissement des cours, les cyclones, la maladie de la canne à sucre, la cherté de la main-d'œuvre semblaient se réunir pour l'accabler. N'y a-t-il pas là de quoi ranimer tous les courages ?

Le café ne semble pas de prime abord devoir profiter autant que la canne à sucre, du mouvement qui se prépare ; je sais pourtant que, dans plusieurs localités, notamment à l'Entre-Deux, on attend que la mise en circulation des trains sur la voie pour faire venir de Saint-Denis des plants de café Libéria.

Descendons de la denrée d'exportation à ces petites cultures, à ces petites industries dont les fruits se consomment localement et qui sont le gagne-pain d'un si grand nombre, telles que la chasse, la pêche, les cultures maraîchères et fourragères, l'élevage du menu bétail et le reste. Ne sont-ce pas autant de mines d'or à exploitées, qui pourraient fournir du travail à bien des bras inoccupés ! Dès que le chemin de fer leur aura ouvert les marchés de Saint-Denis, de Saint-Pierre, de Saint-Benoît, nous leur verrons prendre un rapide essor et devenir des sources de bien-être pour tous, en raison de ce double fait qu'on pourrait croire du domaine du rêve, que le producteur vendra plus cher et le consommateur paiera meilleur marché !

Saluons donc l'instrument de tant de bienfaits, applaudissons à l'achèvement de ce chemin de fer qui, en multipliant les rapports sociaux et les relations d'affaires, en ouvrant de nouveaux débouchés à l'agriculture et à l'industrie locales, en resserrant les liens politiques et de famille, va renouveler la face du pays.

Il est aisé de concevoir tout ce que la première idée de création d'un port et d'un chemin de fer, à la Réunion, a dû soulever de problèmes et rencontrer de difficultés. On avait d'abord à fixer, l'emplacement du port, grosse question qui divisait les meilleures juges, puis, question non moins grosse encore à trouver l'argent nécessaire pour sa construction. Quand au difficultés matérielles, il semblait que la nature les eût accumulées comme à plaisir. Rien d'étonnant, dès lors, si cette idée, déjà ancienne et vingt fois reproduite, a eu tant de peine à se faire accepter. Les temps étaient néanmoins venus pour sa réalisation. Deux hommes éminents, deux ingénieurs d'un haut mérite, ont entrepris de la faire aboutir et y ont réussi. Je n'ai pas besoin de nommer MM. Molinos et Lavalley. Leur plan n'était plus de construire un port à la mer, mais dans l'intérieur des terres ; ce changement de point de vue simplifiait la question du choix des lieux ; on trouvait des terrains libres et d'un creusement facile à la Pointe des Galets, on s'y arrêta naturellement. C'est le directeur actuel, M. Blondel, qui fut chargé des études. Il y consacra six mois d'un travail assidu autant que pénible, vivant presqu'en ermite sur cette plage déserte et silencieuse qu'il devait animer quatre ans plus tard de tout le bruit et le mouvement d'une cité naissante, et au bout de ce temps son devis était dressé, dressé avec une si parfaite entente des choses de l'art et avec tant de précision que, contrairement à tous les devis, il ne sera pas dépassé. Restait à en assurer l'exécution et c'est encore lui, à ses mains habiles, que devait échoir cette tâche délicate. Mais il fallait obtenir de la Métropole qu'elle traitât en son propre nom avec la Compagnie concessionnaire et garantît l'intérêt de sommes engagées dans l'entreprise ; sans cela, on ne pouvait rien. Or, pour conquérir ce concours de la Métropole, défendu par deux grandes assemblées, la Colonie avait besoin, en France, d'hommes absolument dévoués à ses intérêts, jouissant d'une grande influence personnelle et de la sympathie des pouvoirs publics, capables par leur position de lever bien des obstacles et, par l'ascendant de leur esprit, d'entraîner bien des opinions. Ces hommes, elle les a trouvés dans ses représentants, MM. La Serve et de Mahy. Grâce à leurs efforts et à ceux de la Direction de la Colonie, qui a toujours fait preuve de la plus vive sollicitude pour nos établissements d'outre-mer, la garantie d'intérêt a été votée. Ils ne sont pas les seuls, sans doute, à qui ce résultat doit être attribué ; les représentants de la Compagnie en France, le Ministre de la Marine, la Chambre des députés et le Sénat, y ont tous contribué, à des degrés divers, chacun dans la sphère qui lui est propre, mais c'est à MM. La Serve et de Mahy d'abord, c'est à eux surtout, que vous devez aujourd'hui d'avoir un chemin de fer, que vous devrez demain d'avoir un port, comme vous leur devez déjà d'avoir une ligne de grands bateaux à vapeur, qui relie directement la Réunion à Marseille et à l'Australie. Je suis heureux de le dire ici publiquement, devant leurs compatriotes qui les aiment, je le sais, mais dont quelques-uns oublient parfois trop facilement tout ce qu'ils ont fait pour le pays.

Les engagements sont pris, le traité signé. Le Conseil général, à son tour, jaloux de s'associer à ce grand acte qui intéresse si vivement la Colonie, vote patriotiquement une subvention de 160 000 francs par an pour que sa quote-part dans la garantie. Il n'y a plus qu'à mettre la main à l'œuvre. C'est alors que vous nous revenez, M. le Directeur, à la tête de ce groupe d'ingénieurs distingués qui bous secondent et que, prenant corps à corps les difficultés dont j'ai parlé, vous nous montrez bientôt combien il est facile à la science et la volonté humaines de triompher des résistances de la matière. Je ne ferai pas l'histoire de vos travaux, le pays tout entier en a été témoin et l'impression qu'il a reçue est celles qui ne s'effacent pas. Il nous a vu percer comme en courant ce magnifique tunnel de Cap Bernard qui, selon la remarque de M. Pélagaud, est le troisième du monde et que beaucoup pensaient que vous ne perceriez jamais. Il vous a vu jeter ces ponts hardis de la Grande et de la petite Ravines, de la Rivière des Galets, de la Rivière du Mât et tant d'autres, font on s'étonne encore, en les revoyant pour la vingtième fois, merveilles de légèreté et de solidité, qui rendent désormais franchissables en tout temps des cours d'eau dangereux qu'on ne pouvait franchir pendant les crues de l'hivernage. Il vous a vu faire jaillir de terre à la Pointe des Galets, tout un monde de constructions, de machines, d'outils dont on ne soupçonnait ni la forme, li l'objet et transformer cette lande aride en un vaste atelier, dont est sorti le chemin de fer, dont sortira le port à son heure. Il a pu admirer le savoir et l'activité de vos ingénieurs, l'excellence de votre direction, l'esprit de ménagement et de conciliation qui vous avez apporté dans vos rapports avec les intérêts privés, l'attention qui vous avez eu de ne jamais séparer l'intérêt général local de celui de la Compagnie. Tout cela est gravé dans les souvenirs de la Colonie qui, un peu crédule et défiante au début, se rend aujourd'hui un compte exact des services peu communs que vous lui avez rendus, de ceux qui vous pouvez lui rendre encore. Je vous remercie donc pour elle et je le fais avec plaisir, car mieux que personne peut-être j'ai pu juger, en voyant les choses de plus près, de la largeur de vues, du libéralisme et de la loyauté avec lesquels vous avez rempli votre mission. Si vous avez pu craindre un instant de n'être pas apprécié par ceux-là mêmes à qui vous apportiez avec de nouvelles armes pour la lutte, de nouvelles chances de réussite, ce jour est déjà loin. En vous voyant depuis quatre ans, au milieu de nous, marcher d'un pas ferme et sûr au succès, par les voies les plus larges et les plus droites, on a appris à vous connaître et à vous aimer. Des injustices et des préventions dont vous avez pu souffrir, au début, rien ne reste qu'une confiance absolue dans votre talent et de justes sympathies pour votre personne. Je suis sûr d'être l'interprète du sentiment général en vous disant que, si grande a été votre part, M. le Directeur, et celle de vos collaborateurs, dans l'œuvre que nous acclamons aujourd'hui, grande elle sera aussi dans la reconnaissance de ce généreux pays qui comprend qu'il s'honore en honorant ceux qui l'ont servi.

Et, maintenant, lâchez la bride à la vapeur ! qu'elle aille semer sur tous les points de l'île la bonne nouvelle de la mise en activité du chemin de fer et répéter les noms de ceux qui ont travailler à en doter la Colonie. J'espère qu'ils resteront populaires parmi nous et qu'on ne les oublieras jamais.



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